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Introduction

 

 

Qui ne s’est jamais éveillé, à l’aube, tiré de sa torpeur nocturne par l’arôme délicieux du pain qui cuit sur la sole, ne peut comprendre le désir qui m'habite de raconter cette histoire.

 

L’histoire d’une boulangerie, créée dans les années 30, dans une petite ville industrielle du nord du Québec.  À partir des années 30 et jusque dans les années 70, la Boulangerie Francis Bouchard Ltée fabriquait le pain « Excellent » qui a fait sa renommée, le pain au lait tranché, appelé aujourd’hui « pain sandwich », une baguette cuite sur la sole (le pain de sole), des petits gâteaux, des beignes et autres produits de boulange sur une base industrielle.  

Elle livrait le pain à domicile avec sa flotte de camions, atteignant près de 20 au cours des années 60.  Elle couvrait un territoire, de gros et de détail, s’étendant aux villes de Jonquière-Kénogami, Arvida et Chicoutimi, ainsi qu’aux municipalités de St-Cyriac, Laterrière et autres villages environnants, situés entre la rivière Saguenay et le lac Kénogami. Elle desservait même les épiceries de plusieurs municipalités du lac St-Jean, telles que Dolbeau, Larouche, Alma etc.  Pendant de nombreuses années, la boulangerie a su approvisionner des revendeurs autant dans la région de la Côte-Nord (Sept-Iles, Baie-Comeau) que dans celle de Chibougamau-Chapais. 

La boulangerie du 37 rue Richard vers la fin des années 40

(source: archives familiales)

intro

Durant l’été, ses camions faisaient en aternance le tour des chalets du lac Kénogami et de la rivière Chicoutimi à raison de 3 fois par semaine.  Ses produits se trouvaient également sur les tablettes des épiceries de la région et faisaient l’objet de publicité régulière dans les journaux locaux.

 

Son créateur, Francis Bouchard, est né à Roberval le 9 septembre 1897 et est décédé à Jonquière le premier octobre 1962.  Son père, Théophile, fut considéré comme l’un des bâtisseurs de la ville de Jonquière. Cet ouvrier débrouillard avait acquis au cours de sa vie quelques terres dans des zones centrales de la ville, qu'il a léguées à son fils Francis.  Ainsi put commencer l’histoire d’un entrepreneur, un homme qui, avec son sens des affaires et de la famille, a mis au monde une entreprise qui est devenue une institution dans la région du Saguenay au milieu du XX ième siècle.

 

 

 

François-Xavier Bouchard, dit Francis, est le fils de Théophile Bouchard, de Jonquière, et de Éléonore Tremblay (de Roberval?).  Il grandit à St-Jérôme du Lac St-Jean, aujourd’hui appelé Métabetchouan. Le 28 juin 1919, il se marie avec Alida Racine de Jonquière, fille de Arthur Racine et de Émélia Laberge.

 

Ayant appris son métier de boulanger auprès de M. Jos Leclerc à St-Jérôme, Francis travaille à Jonquière aux boulangeries de Jos Breton et de Osias Poitras. Puis, pendant deux ans, on le retrouve au service de l’Express du C.N.R. (Canadian National Railway).  Par la suite, il fait l’apprentissage du monde des affaires après avoir obtenu un territoire de vente en tant qu’agent d’assurance pour la Metropolitan Life Company, qu’il conservera durant cinq ans.  

 

En 1922, le couple s’installe à Normandin. Alida avait l’habitude de dire, à propos de cet endroit: «C’était tellement loin que les lièvres venaient jusque su’a galerie d’en arrière ». C’est là que, après avoir accouché de deux enfants morts-nés, Alida donne naissance à  leur premier fils, Marcel. En plus de la vente d’assurance, Francis, obsédé de pratiquer son métier de boulanger, y exploite pendant deux ans la boulangerie de M. Georges Bussières.

 

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1. La genèse

 

La boulangerie Saguenay Bread  à la fin des années 20

(source: archives familiales)

Ici, l’histoire perd un peu ses repères ou ses traces fiables. On sait que trois autres enfants étaient nés,  Jacques, Huguette et Stella. Un autre fils, celui qu’on a toujours appelé « le petit Lévis », décédé à l’âge de deux ans, est arrivé peu après.  Vers 1925, la famille déménage à Jonquière et Francis se retrouve gérant de l’importante firme Saguenay Bread, située sur la rue du Vieux pont, au bord de la Rivière-aux-Sables.  Celle-ci avait été fondée par MM. Adélard Tremblay, Jos Leclerc et le docteur Lamy, tous de St-Jérôme.  Au cours de ces années, il voyage « dans les grands centres » afin de s’enquérir sur place des méthodes les plus modernes et des pratiques pour la fabrication du pain et des pâtisseries.  On est en pleine crise économique et aucune ville, aucune entreprise, n’échappe aux remous qui secouent le monde entier. 

 

En 1930, après la faillite de Saguenay Bread, le couple formé par Francis et Alida a maintenant six enfants, Marcel, Huguette, Jacques, Stella, Jean-Roch et Claude.  Il y a donc beaucoup de bouches à nourrir. La famille habite une modeste maison, au 39 de la rue Richard, coin St-Aimé, où Alida opère un salon de coiffure. La légende dit qu’à cette époque, elle coiffait des têtes le jour et cuisait du pain et des « buns » la nuit. C’est une force de la nature, comme beaucoup de femmes de cette époque.  Elle n’est pas très souriante, mais elle est travaillante.  Elle a du coeur au ventre et sait se montrer accueillante, tant à l’égard de la clientèle qu’elle coiffe qu’envers les fournisseurs et autres contributeurs essentiels à ce noyau de boulangerie qui commence alors à prendre forme.

Les quatre plus vieux de la famille, soit Marcel, Jacques, Huguette et Stella

(source: archives familiales)

 

S’il est vrai que les débuts de cette entreprise demeureront toujours un peu mystérieux puisqu’aucun témoin direct n’est aujourd’hui là pour nous éclairer, des personnes qui ont côtoyé de près Francis le décrivent comme un entrepreneur né. C’est donc véritablement sur lui que repose le mérite d’avoir mis sur pied, au cours de ces années difficiles, un commerce qui lui a permis de faire vivre sa famille ainsi que celle des employés qu’il a recrutés.

annee 30

2. Les années 30

 

Ainsi est née, en 1931, la Boulangerie Francis Bouchard.  Très rapidement, la résidence familiale ne suffit pas. La boulangerie s’installe dans un local adjacent, au 37 de la rue Richard, sur un terrain légué par le père Théophile.  Dès ses débuts, Francis vise grand et le commerce se présente comme l’embryon d’une entreprise appelée à devenir autre chose qu’une petite boulangerie artisanale. On peut supposer que du matériel a été racheté de Saguenay Bread.  Cependant, c’est sur une petite échelle qu’elle produisait alors pains et gâteaux, désignés sous le nom de « Rayon Soleil », la marque de commerce de la compagnie.  Cette marque est en fait le calque francisé d'une marque américaine de pain, "Sunbeam".

On peut lire, dans un article du Réveil, publié en 1968:  « Feu Francis Bouchard se lança officiellement dans l’industrie sur la rue Richard, en une petite boulangerie, qui comprenait comme pièce principale un petit four fait de tôle. M. Bouchard cuisait lui-même son pain pour le vendre ensuite de porte en porte.  Mais voilà c’était la crise et les gens payaient avec des « pitons ». Ces derniers étaient échangés par les municipalités et garantis par le gouvernement.  Mais le remboursement était lent, de sorte que ceux qui n’avaient pas les reins suffisamment forts financièrement n’en sortaient que difficilement.

 Pour M. Bouchard, il lui fallait acheter sa farine avec ces fameux "pitons" (ces bons privés fournis par les municipalités avec lesquels les entreprises payaient leurs employés, faute d'argent) et payer des intérêts.  Il n’en fallait pas plus pour « fermer une boutique », mais, en bon lutteur qu’il était, M. Francis Bouchard refusa de lancer la serviette dans l’arène et de s’avouer vaincu.  Une idée lumineuse! M. Bouchard pensa diversifier son commerce avec celui des grains et des moulées qu’il vendait aux cultivateurs.  Et ce fut le vrai départ.  La pierre d’achoppement allait être contournée plus facilement.  Ce commerce, qui ne devait être que temporaire, lui permit de flotter et de lancer petit à petit sa petite boulangerie sur la voie de l’expansion et du succès. » (Le Réveil, 14 février 1968).

Article paru dans l'hebdomadaire

Le Réveil, le 14 février 1968

(source: Le Réveil)

Les huit enfants de la famille de Francis et Alida, vers 1935

(source: archives familiales)

En 1933, la famille s’était agrandie de deux autres filles:  Jeannine et Françoise, portant le nombre d'enfants à huit. La famille est maintenant complète.  Francis est soucieux de donner un avenir à ses enfants.  Tous ont au moins terminé leur cours primaire. Les filles ont fait, soit des études, soit « un bon mariage » et l’un des fils a fait des études universitaires pour devenir notaire. Les autres ont hérité de parts dans la boulangerie.  Néanmoins, au coeur de ces années marquées par la pire crise économique de l’histoire, pour survivre et faire survivre sa petite entreprise naissante, Francis n'hésite pas à retirer de l’école ses deux aînés, Marcel et Jacques.  Ils sont donc appelés, très jeunes, à apprendre le métier de boulanger et les rudiments du monde des affaires, sous la tutelle bienveillante de leur père. Le tout dans un esprit de « succession » que l’on retrouve fortement au sein des entreprises dites familiales de cette époque.

L’aîné, Marcel, qui se retrouvera vice-président de la boulangerie dans la décennie suivante, est peu à peu orienté vers la direction des ventes et la supervision des équipes responsables de la distribution.  Le second, Jacques, prend en charge la production en général et, plus spécifiquement, la section pâtisserie.

Peu à peu, le commerce grossit et se structure.  La boulangerie devient une entreprise locale engageant du personnel régulier, obtenant des contrats et produisant pains, brioches et gâteaux sur une base de plus en plus industrielle.

 

 

3. Les années 40

 

 

Dans les années 40, la construction des réservoirs de Shipshaw, sur la rivière du même nom, à quelque six kilomètres de Jonquière, donne un élan à la petite entreprise, lui fournissant un contrat d’approvisionnement important sur une base régulière.  La boulangerie « faisait alors jusqu’à cinq livraisons de camion par jour » (Le Réveil, 14-02-1968). Contribuant à faire connaître les produits « Rayon Soleil » à une population de plus en plus étendue, ce contrat permet aussi à Francis Bouchard de stabiliser sa production et ses ventes.

 

Le barrage de Shipshaw est construit pour alimenter en énergie hydroélectrique la Canadian  Aluminium Company, ancêtre d’Alcan et de Rio Tinto.  Érigé entre 1941 et 1943, il constitue un chantier majeur, fournissant du travail à plus de 10,000 ouvriers.  Initialement prévue pour durer au moins 5 ans, la construction du barrage est réalisée en seulement 28 mois (on est loin des chantiers d’aujourd’hui, qu’on parle du CHUM ou du Pont Champlain…).

 

anne 40

Le barrage de Shipshaw pendant sa construction.

(Source: Alcan)

"La demande en aluminium augmenta durant la Seconde Guerre mondiale, les Alliés s’affairant à construire des flottes d’avions de combat. Il fallut 9 000 travailleurs venus de tout l’Est du Canada pour construire ce magnifique barrage de 64 mètres de hauteur sur la rivière Saguenay. Avec une capacité énergétique de 896 000 kilowatts, cette centrale permit à Alcan d’augmenter considérablement sa production d’aluminium pendant la guerre. Merveille d’ingénierie, Shipshaw ouvrit une nouvelle ère d’immenses projets  hydro-électriques qui firent du Québec l’un des principaux fournisseurs d’énergie en Amérique du Nord.

 

La construction de la centrale hydroélectrique de Shipshaw entre 1941 et 1943 est considérée comme un record en ce qui concerne la rapidité de construction. Construite lors de la Deuxième Guerre mondiale, elle permet l’augmentation de la production en électricité pour Alcan, permettant à cette dernière de répondre à la demande croissante de l’aluminium pour la construction des avions militaires."  (Wikipédia).  La construction de l'immense aluminerie d'Arvida s'est avérée au moins aussi importante que les barrages, dans la mesure où il fallait nourrir ces milliers de travailleurs.

Shipshaw dans les années 40

(Source: Société historique du Saguenay) 

La guerre apporte aussi, pour diverses autres raisons,  des années d’abondance dans la région, comme ailleurs au pays.  De sorte que, en 1946, le commerce atteint une stature lui permettant de se constituer en compagnie.

 

Commence alors la véritable aventure! Le 21 juin 1946, la boulangerie Francis Bouchard devient "Francis Bouchard Limitée".

 

Les lettres patentes qui constituent en corporation son fondateur Francis, sa femme Alida ainsi que leurs deux fils Marcel et Jacques, sont reproduites ici textuellement, compte tenu de l'importance de ce document dans l'histoire de l'entreprise.

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

Georges VI, par la grâce de Dieu, Roi de

Grande-Bretagne, d'Irlande et des Territoires

Britanniques au delà des mers,

défenseur de la foi, Empereur des Indes.

 

 

À tous ceux que les présentes lettres concerneront ou qui les verront,

SALUT:

Original de ce document de Lettres patentes

(source: archives familiales)

           Attendu que la première partie de la loi des compagnies de Québec, statue que le lieutenant-gouverneur peut, au moyen de lettres patentes expédiées sous le grand sceau, accorder à trois personnes ou plus qui en font la demande par requête, une charte qui les constitue en corporation pour certains objets relevant de l'autorité législative de cette province, excepté pour la construction et l'exploitation de chemins de fer, pour les affaires d'assurance, et pour les affaires de fidéicommis;

    

           Attendu que les personnes ci-après désignées ont demandé par requête une charte qui les constitue en corporation pour les objets ci-après décrits;

 

           Attendu que les dites personnes ont rempli les formalités prescrites pour l'obtention de la charte demandée, et que les objets de   l'entreprise de la compagnie projetée sont de ceux pour lesquels le lieutenant-gouverneur peut accorder une charte;

 

          À CES CAUSES, Nous avons, en vertu des pouvoirs qui Nous sont conférés par ladite première partie de la loi des compagnies de Québec, constitué et, par les présentes lettres patentes, constituons en corporation les personnes suivantes, savoir:

 

          Francis Bouchard, industriel, dame Alida Racine, ménagère, épouse contractuellement séparée de biens dudit Francis Bouchard et dûment autorisée par lui aux fins des présentes, Marcel Bouchard, commis, et Jacques Bouchard, commis, tous quatre de la ville de Jonquière, dans le district de Chicoutimi,

 

ainsi que les autres personnes qui sont ou deviendront actionnaires de la compagnie, et, pour les objets suivants:

 

          Exercer le commerce en gros et en détail de boulanger, confiseurs, manufacturiers de biscuits, et faire et manufacturer du pain, biscuits, gâteaux, tartes et choses semblables et les acheter et les vendre;

 

          Manufacturer, acheter, vendre et faire le commerce de pain, pâtisseries, farine, céréales, graisses et accessoires de boulangers et articles, effets et marchandises de toutes sortes qui peuvent être requis par les boulangers ou les confiseurs et généralement manufacturer, acheter, vendre ou autrement disposer de tels articles, effets et marchandises;

 

          Faire tous autres commerces qui pourraient être exercés convenablement par la compagnie en même temps que son commerce, ou de nature à accroître directement ou indirectement la valeur des biens ou droits de la compagnie ou les rendre profitables;

 

          Faire des emprunts de deniers sur le crédit de la compagnie, par l'émission d'obligations, débentures ou autrement;

 

          Prendre ou acquérir autrement et détenir des actions de toute autre compgnie dont les objets sont semblables ou en partie semblables à ceux de la présente compagnie ou exerçant un commerce qui pourrait être conduit de façon à profiter directement ou indirectement à la présente compagnie;

 

          Promouvoir une ou plusieurs compagnies dans le but d'acquérir la totalité ou une partie quelconque des biens et engagements de la compagnie ou pour toutes fins de nature à profiter directement ou indirectement à la présente compagnie;

 

          Vendre, améliorer, gérer, développer, échanger. louer, aliéner, faire valoir ou autrement disposer de la totalité ou d'aucune partie des biens et droits de la compagnie;

 

          Hypothéquer, gager et affecter autrement les propriétés mobilières ou immobilières de la compagnie pour garantir le paiement d'emprunts ou le paiement de toute autre dette, contrat ou obligations envers la compagnie;

 

          Rémunérer toute personne ou compagnie pour services rendus ou à rendre dans ou au sujet de la formation ou promotion de la compagnie ou dans la conduite de ses affaires;

 

          Le nom de la compagnie constituée en corporation est: 

          "FRANCIS BOUCHARD LIMITÉE"

 

          Le siège social de ladite compagnie est

          en la ville de Jonquière, dans le district de Chicoutimi

dans notre province.

          Le montant du capital-actions de la compagnie, divisé en quatre cent quatre-vingt-dix-neuf actions de cent dollars chacune, est fixé à la somme de quarante-neuf mille neuf cents dollars, monnaie courante du Canada.

 

          Quatre actions ordinaires ont été souscrites au fonds social de la compagnie.

 

          Sont nommés directeurs provisoires de la compagnie les personnes suivantes, savoir: Tous les requérants.

 

 

          En foi de quoi, Nous avons fait rendre Nos présentes lettres patentes et sur icelles apposer le grand sceau de Notre dite Province de Québec; Témoin: Notre très fidèle et bien-aimé Le Major-Général l'honorable Sir EUGÈNE-MARIE-JOSEPH FISET,

KT.,C.M.G, D.S.O., M.D., Lieutenant-gouverneur de la Province de Québec.

 

                                                          Donné en Notre hôtel du gouvernement, à Québec, ce vingt-et-unième----jour de juin----l'an de grâce mil neuf cent quarante-six----------et de Notre règne le dixième.

 

 

          Par ordre,                                 Le sous-secrétaire de la Province.

 

 

 

                                                              ( signé ) " Jean Bruchesi "

Sceau de la Boulangerie Francis Bouchard Ltée

(source: archives familiales)

C'est dans ce parachèvement, au cours des années 40, du projet né en 1930 en pleine crise économique, qu'on mesure l'importance qu'a eue dans la vie de son fils Francis le legs, par son père Théophile, de terrains situés entre de la gare de chemin de fer et la rue St-Aimé, bornés à l'est et à l'ouest par les rues St-Louis-de-France et Richard.  En effet, en 1941, Francis contracte un important emprunt auprès de la Compagnie d'assurances Les Prévoyants du Canada, pour lequel il laisse en collatéral certains de ces terrains. Dès 1944, ce prêt est remboursé et Francis procède à l'achat d'autres terrains.

 

À la fin des années 40, la famille quitte la petite maison de la rue Richard pour une belle résidence, construite sur un terrain adjacent ayant pignon sur la grande rue St-Aimé, au 277. L'autre maison est restée longtemps comme enserrée entre la nouvelle et la boulangerie, servant à la fois d'entrepôt ou de hangar à usages variés.  Cette nouvelle maison, dessinée selon le modèle des cottages classiques anglais, est spacieuse et très jolie, avec ses bardeaux de bois blanc et ses volets rouges.  

 

En 1948 et 49, les deux fils aînés se marient.  Francis leur fait construire un jumelé, voisin de la résidence paternelle.  Érigé avec les briques ayant servi au plus récent agrandissement de la boulangerie, ce carré de maison est simple mais tout à fait confortable pour y élever une famille selon les normes bourgeoises de la petite ville.  Sur trois étages en comptant le sous-sol, chacune des deux parties est la copie conforme de l'autre, en effet miroir.

 

Ici s'impose une parenthèse.  On constate que Marcel et Jacques connaissent un destin déterminé par les ambitions et la sollicitude de leur père. D'abord "conscrits" à devenir commis de boulangerie et à y progresser dans l'entreprise, ils sont ensuite logés grâce à la volonté et à la générosité paternelle, dans un lieu où ils auront à se côtoyer au quotidien.  Mariés à des femmes jolies et possédant une force de caractère, mais radicalement différentes, cette situation contient en elle-même les germes des conflits qui ne manqueront pas de surgir ultérieurement.  Mais ceci est pour la suite de l'histoire, des "histoires"...

4. Les années 50

annees 50

Le personnel de la boulangerie, photographié le long de la rue St-Aimé, face aux résidences familiales et à la boulangerie située à l'arrière, lors de l'inauguration de nouveaux locaux, en 1952

(source: archives familiales)

Quelles années! L’après-guerre, le baby boom, les progrès technologiques fulgurants dans le domaine domestique! Tout cela crée un climat.  Petit à petit, ces nouveautés contribuent à libérer les êtres humains, plus particulièrement les femmes, de certaines tâches lourdes ou fastidieuses, multipliant ainsi le temps disponible et créant des opportunités de croissance économique.

 

Années marquées par l’espoir en l’avenir. Tout devient possible! Ou presque.

 

La famille Bouchard peut maintenant compter sur une certaine prospérité venant du succès de la nouvelle « compagnie ».  Les années difficiles semblent loin derrière.  Des projets d’expansion peuvent désormais être envisagés avec confiance pour l’entreprise familiale.

 

La boulangerie compte alors une cinquantaine d'employés.

 

La flotte de véhicules destinés à la livraison des produits, à domicile ou dans les épiceries de la région, s'est étendue à une dizaine de camions, sans compter quelques voitures à cheval qui poursuivent leur vie utile.

 

Notamment, la jument nommée Mignonne, qui impressionne beaucoup les enfants de la famille,  continue à porter vaillamment les sacs de farine des wagons de chemin de fer vers leur lieu d'entreposage à l'avant de l'édifice donnant sur la rue Richard.

 

 

Les employés de la boulangerie, au début des années 50

(source: archives familiales)

Sur le plan personnel, les deux fils aînés se sont mariés en 1949.  Pour construire leur maison, située au coin des rues St-Aimé et St-Louis-de-France (portant les numéros 293 et 295), on a détruit les écuries, lesquelles deviennent moins nécessaires en raison du remplacement progressif des voitures à cheval par une flotte de camions automobiles.  En 1950, deux enfants naissent:  moi-même, Geneviève, aînée de la troisième génération, née le 11 février, fille de Jacques et de Gilberte Simard; et  Jean-François, mon cousin, né le 11 avril, fils de Marcel et Cécile Bergeron.

Geneviève à 14 mois, cour de la boulangerie avril 1951

(source: archives familiales)

Gilberte, entrant dans un camion de la boulangerie, Ford 1949

(source: archives familiales)

Le grand-père Francis, avril 1951

(source: archives familiales)

Pour l’entreprise, cette décennie est marquée par des modifications importantes à la bâtisse située sur la rue Richard (portant désormais le numéro 319).  En effet, celle-ci connaît plusieurs vagues d’agrandissement, particulièrement vers l’arrière, formant désormais un grand L sur deux étages.  Parallèlement, l’acquisition de matériel de plus en plus moderne permet la diversification de la production, qu’il s’agisse de pain ou de pâtisserie. En 1954, la maison familiale d’origine est détruite afin d’agrandir le stationnement pour les camions servant à la livraison.

 

Au cours de la même année, un four très sophistiqué destiné à la cuisson du pain de sole est construit sous la supervision de M. Armand Mignolet, de Montréal. Ce dernier, provenant d’une famille d’origine française, maîtrisait la technique des fours à pain à l’européenne. 

 

Ce sont des années d’effervescence. En 1955, Francis dote la compagnie d’un projet d’orientation, par lequel il divise les actions en actions ordinaires et privilégiées, et les répartit entre les membres de sa famille selon un modèle qui restera la base de son organisation financière. Celle-ci demeurera jusqu’à son décès, elle conditionnera son testament et aura de la sorte une influence sur la façon dont les relations s’établiront entre les frères héritiers dans les décennies suivantes.

 

Dans les états financiers du 31 décembre 1954, on enregistre des ventes de 415,197.71$ et un profit net de 13,592.28$.  En dollars d’aujourd’hui, on peut en déduire un « chiffre d’affaires » d'environ 3,800,000$. 

En 1955, ce camion de livraison est stationné à l'intérieur de la bâtisse de la boulangerie.  Zotique Pouliot, neveu et filleul de Francis et Alida, travaille comme livreur. On le voit sur cette photo terminant de charger son camion avant d'entreprendre sa "run" quotidienne.

 

Lorsqu'on examine attentivement ce cliché, on peut voir des pains au lait, de forme carrée (pour les sandwichs), des pain "Excellent", à l'eau, avec leur forme oblongue sur le dessus, des boîtes de gâteaux dans lesquelles on ne peut que deviner les délices qui se dévoileront en les ouvrant. Zotique tient sur son avant-bras une pile de pains de sole emballés dans le cellophane.

 

Et, chose curieuse, en agrandissant l'image, on peut lire sur certains emballages les mots "Rayon de Soleil" alors que sur d'autres la marque y est inscrite selon le logo habituel "Rayon Soleil".  On peut faire diverses hypothèses à ce sujet: serait-ce qu'une hésitation a existé sur la manière d'écrire la marque?  La particule "de", qu'on a toujours cru inexistante dès le début aurait-elle au contraire été utilisée pendant un certain temps?  Personne ne peut répondre à cette question.

Zotique Pouliot, 1955

(source: archives familiales)

Au cours de ces années, trois des filles Bouchard se marient.  Dans l’ordre, Françoise, la plus jeune, à un homme de radio de Chicoutimi, Jacques Lambert; puis Huguette, l’aînée des filles, à Anthony O’Neill, un Irlandais travaillant pour Alcan à Arvida; et enfin Jeannine, l’infirmière de la famille, à Guy Hamel, gérant de l’hôtel Roberval au Lac St-Jean.  Ce sont de « beaux mariages ». Petit à petit, on peut donc dire que les enfants se « casent ».  Les deux frères plus jeunes convoleront également avant la fin de la décennie, Jean-Roch, le notaire, avec Ghislaine Pronovost de Jonquière et Claude avec Pâquerette Fournier, également de la ville.  

 

À peu près simultanément avec toutes les constructions domiciliaires urbaines que Francis a fait réaliser, celui-ci a également fait construire des chalets sur un vaste terrain au Lac Kénogami.  Obtenu selon le principe de l’appropriation des terres de la Couronne, ce site est adjacent à la scierie Potvin-Bouchard, dont son cousin est co-propriétaire. Dans ce village de St-Cyriac, une histoire de famille avait précédé l’établissement des Bouchard sur ces lots. (À développer ultérieurement).

Les chalets du Lac Kénogami dans les années 50

(source: archives familiales)

Un chalet blanc et rouge, appelé le « grand chalet » et rappelant un peu le style de la maison de la rue St-Aimé, est destiné à la famille étendue.  Situé sur un promontoire, il a à la fois un accès direct au lac et une vue intéressante en plongée sur celui-ci.   Un plus petit, plus modeste, est réservé à l’usage de Marcel et de Jacques, selon un mode d’alternance (de semaine en semaine pour chaque famille au cours de l’été).  On devine aisément là un autre contexte susceptible de fournir des occasions de conflit ou de tension entre les deux frères ou les deux couples.  Cette situation a duré plusieurs années, jusqu'à ce que Marcel construise son propre chalet à l’arrière de celui-ci, pendant que Jacques, de son côté, conservait le petit chalet et le faisait agrandir.

La boulangerie vers le milieu des années 50

(source: archives familiales)

Les années 50 sont fertiles en changements majeurs de toute nature. L’arrivée en force du rock and roll prend d'assaut les nouveaux systèmes transistor qui ont fait leur entrée dans les maisons au cours de la décennie précédente, se disputant les ondes avec la musique classique et la chanson française.  Sur un autre plan, une petite révolution résulte de l'introduction progressive depuis les années quarante, d'appareils électriques modernes.  Ainsi, les machines à laver remplacent les planches à lessive pendant que les réfrigérateurs électriques succèdent aux glacières.  Divers accessoires de cuisine sont inventés, facilitant la vie des ménagères. Les automobiles deviennent accessibles au plus grand nombre, modifiant de manière fulgurante les moyens de transport. Dans la petite ville de Jonquière, au cours des années 30 et 40, des éléments d’urbanité avaient fait leur apparition. Les grandes banques y avaient implanté des succursales, des grandes chaînes de magasin comme Woolworth ou Zellers avaient dorénavant pignon sur la rue principale, St-Dominique, à côté de commerces locaux comme Gagnon frères, JAT, la bijouterie Harry Roy ou la mercerie Roland Desbiens. Tout cela contribue à faire de Jonquière la deuxième ville en importance au Saguenay après Chicoutimi,  et favorise l’essor du commerce familial.  Au cours des années 50, la population de la région (Chicoutimi-Jonquière) passe de 77,725 à 105,009, soit un taux d’augmentation de 35% (Source: Statistique Canada, population, régions métropolitaines de recensement, 1951-1999).  Comparable à celle de la région de Québec, cette progression reflète bien sûr le baby boom qui caractérise ces années.

 

En 1958, après l'acquisition de pièces d'équipement modernes telles que le four à sole, la pétrisseuse, la "répartiteuse" et autres, on a dit de la boulangerie qu'elle était l'une des plus modernes de l'est du Québec.  Bien sûr, le commerce a ses compétiteurs locaux, comme la boulangerie Fortin à Kénogami et La Huche sans Pareille à Chicoutimi, mais la notoriété de Francis Bouchard Ltée est de plus en plus reconnue dans toute la région.  Les Bouchard sont engagés dans leur milieu.  Outre Francis, dont on décrit les  contributions communautaires en dressant son portrait dans la section "Histoires", Jacques est membre des AS de Jonquière, l'équipe de hockey locale, et commissaire à la Commission scolaire de Jonquière.  Marcel de son côté est actif dans le Club Richelieu, la Chambre de commerce et des assiociations professionnelles de boulangerie etc.

 

La boulangerie se prête à des visites industrielles, comme en fait foi la photo ci-dessous.

Visite industrielle, fin des années 50

(source: archives familiales)

En 1959, le profit net de l'entreprise s'élève à 20,356.29$ et elle compte une centaine d'employés.  Sur la photo ci-dessus, Marcel est à l'extrémité gauche et Jacques à celle de droite. 

Le personnel de la boulangerie vers le milieu des années 50

(source: archives familiales)

Plusieurs membres de la famille Bouchard se retrouvent parmi ceux-ci:  Azilda, la soeur de Francis, contremaître à la pâtisserie, Huguette, qui agit comme secrétaire administrative, Stella et même Jean-Roch à l'occasion.  Sans compter Zotique, Claude, et bien sûr, Jacques et Marcel.

 

C'est également à cette époque que Francis et Alida offrent en location la maison de la rue St-Aimé et déménagent sur la rue de la Fabrique, dans une résidence non moins spacieuse, bien que plusieurs membres mariés aient quitté le nid familial.  Il reste à ce moment-là les parents, Stella, Claude et la tante Azilda. Cette dernière, bossue, a été accueillie par son frère qui lui a également fourni du travail à la boulangerie, tout comme à son filleul Zotique. Elle y est restée jusqu'à la fin de sa vie.  À cette époque, il était normal pour une personne qui réussit de prendre soin des membres de la famille étendue qui étaient dans le besoin.

5. Les années 60

annee 60

Au début de la décennie 60, avec sa centaine d'employés et son chiffre d’affaires qui dépasse les ?$, soit ? $ en dollars actualisés, c’est une entreprise arrivée à maturité. Une PME prospère qui rayonne dans son environnement et a acquis ses lettres de noblesse. 

 

C’est en effet au milieu de cette décennie que Francis Bouchard Ltée connaît son apogée.  Si les années 50 ont été pleines d’effervescence, que dire de celles qui ont suivi?  Jonquière est alors au diapason du reste du Québec. C’est le début de la révolution tranquille.  Duplessis est mort, Jean Lesage nous exhorte à être « maîtres chez nous », la religion catholique commence à perdre son emprise sur l’État et, petit à petit, sur la vie des citoyens. À la faveur de Vatican 2, même l’Église assouplit ses règles ou ses prises de position.  Le ministère de l’Éducation est créé, les écoles deviennent publiques. On en construit de « flambant neuves ».  Jonquière obtient sa part de cette expansion.  En face de la maison familiale, sur la rue St-Aimé, est érigée une école secondaire pour filles (Maria- Chapdelaine) où se donnera le cours classique, auparavant réservé aux couvents ou collèges religieux. D’autres infrastructures prennent forme:  un Centre culturel moderne où se tiennent des expositions et des spectacles, un Palais des sports, puis, un peu plus tard dans la décennie, une extension au Collège classique de Jonquière (des pères Oblats) lui permet de devenir l’un des premiers cégeps de la province.

 

Créée autour des usines de pâtes et papier et, par la suite affermie grâce à l’aluminium et l’énergie hydro-électrique, Jonquière peut diversifier son économie et prétendre à devenir un pôle régional, un centre de services administratifs, au même titre que Chicoutimi.

 

Dans ce contexte, l’entreprise familiale continue d’augmenter son chiffre d’affaires.  En 1961, elle célèbre son trentième anniversaire.  

Macaron produit pour célébrer le 30 ième anniversaire de la fondation de la boulangerie

(source: archives familiales)

Sont alors organisées des festivités de diverse nature. Un concours appelé « La tranche dorée » permet à tous les consommateurs de pain Rayon Soleil d’avoir une chance de gagner une somme d’argent allant de 2$ à 50$.

 

Un macaron est produit et porté par les employés afin de donner de la visibilité à cet anniversaire. Des activités sont réalisées à la radio et à la télévision pour faire la promotion de la boulangerie et de son histoire.  Notamment, à CKRS TV, on a fait une émission spéciale au cours de laquelle le grand prix du concours a été remis.  Ce prix consistait en une voiture équipée d’un attelage et d’un petit cheval, pour faire des randonnées avec des enfants

Titre 1

Concours CKRS TV

(source: archives familiales)

La famille Bouchard compte désormais plusieurs petits-enfants. Avant la fin de cette décennie, la troisième génération sera complète. Trois garçons sont nés du côté de Marcel: Jean-François, Dominique et Alain; quatre enfants pour Jacques: outre moi-même, sont arrivés Louis-Jacques, Francis et Pierre-Marie; Huguette en a également trois:  Kevin, Anne et Catherine; Jeannine, trois:  Christine, Philippe et Nathalie; Jean-Roch deux:  Élizabeth et Félix-Antoine; Claude trois: Jean-Claude, Pascale et Marie-Hélaine; et enfin, Françoise trois: Luc, Patrice et Louise.

 

Chaque été, sur le site des chalets, une vie familiale intense se déroule. Un gros bateau a été acquis par Francis, mis à la disposition de tous ses enfants. Avec un moteur marin situé au centre, recouvert d’un caisson en bois et surmonté d’un coussin de cuir servant de gros banc, il peut accueillir jusqu’à dix passagers. Les balades sur le lac et les pique-niques sur ses rives ou dans les petites îles environnantes font le bonheur des petits au cours des fins de semaine d’été.  C’est une période magique, on y fabrique de « belles enfances » pour les jeunes Bouchard.

Chalets familiaux du lac Kénogami

(source: archives familiales)

Puis, le 10 octobre 1962, un événement tragique survient. Francis meurt subitement à l’âge de 65 ans. Un infarctus fulgurant l’emporte. 

 

Tout va changer!

 

Le testament du grand-père prévoyait soigneusement sa succession.  Marcel et Jacques héritent en parties égales de la majorité des parts de Francis, soit 37.5 % chacun, Claude, de 25%.  Un mariage à trois commence.  On pourrait penser que Claude, détenant la « balance du pouvoir », aura un rôle important à jouer dans l’équilibre des forces en présence.  Or, ce dernier est beaucoup moins engagé dans la conduite des affaires de la compagnie. Pour lui, la boulangerie est surtout un gagne-pain, ses intérêts étant ailleurs.  On peut d’ailleurs comprendre aisément sa position: dernier des frères ayant été sortis de l’école pour travailler dans l’entreprise familiale, à une époque où les droits d’aînesse et une certaine mentalité dynastique prévalaient encore dans les valeurs véhiculées au sein des familles, il a sans doute cherché sa juste place sans qu'on la lui donne.

 

C’est donc essentiellement un duo qui dirigera l’entreprise à partir de 1963.  On a mis en évidence précédemment la promiscuité qui caractérise la relation entre les deux frères.  Ceux-ci se respectent et il est même permis de penser qu’une certaine affection a toujours existé entre eux.  Cependant, les occasions de conflit sont nombreuses.  De plus, leurs personnalités et leurs idées divergent à plusieurs égards.  Pour n’en citer qu’un exemple, sur le plan politique, l’un est « bleu » l’autre est « rouge ».  Or, en ces années où règne un bipartisme assez pur, il y a là une belle source d’opposition.   Aux élections de 1960 et 1962, Marcel est l’organisateur principal de la campagne du candidat libéral Gérald Harvey, pendant que son frère Jacques soutient Léonce Ouellet, député de l’Union nationale depuis 1956. 

 

Entre 1962, année du décès de Francis, et 1970,  la famille Bouchard profite de la prospérité de l’entreprise de diverses manières.  Des dividendes ont commencé à être versés aux actionnaires. Bon an mal an, les profits nets générés par la boulangerie lui permettent de demeurer moderne et compétitive, et de diversifier sa production dans une certaine mesure.

Boulangerie dans les années 50 (source: archives familiales)

Par divers moyens, les acquisitions faites par la boulangerie serviront à financer ses tentatives d’expansion ou de consolidation. Par exemple, on retrouve dans les documents d’archives une lettre de caution de la Banque canadienne nationale sur la Scierie de Jonquière, acquise en 1963, s’élevant à 65 000$.

 

 

Le 27 novembre 1964, un certificat d’évaluation, signé par M. Maurice Pagé, estime la valeur (coût de remplacement) des actifs de la boulangerie Francis Bouchard Limitée (située au 219 de la rue Richard) à 360 286,00$. Cette valeur comprenant les constructions, services, machinerie, accessoires et mobilier permanent.

 

Au cours de ces années, des acquisitions de bâtisses ou de terrains adjacents sont faites. Notamment, en 1966, la Boulangerie acquiert de la succession Jules Simard une parcelle de terrain en vue de légaliser l’occupation, par les deux propriétaires, de zones mitoyennes. De plus, elle acquiert de M. Paul Thibault un lopin de terre dans le rang quatre pour une valeur de 1 600$, et de M. Robert Belley, commerçant du rang St-Dominique, une clientèle de pains et pâtisseries (route) située dans les limites des cités de Jonquière et de Kénogami pour une valeur de 2 200$.  Au cours de cette période, la boulangerie acquiert également des biens, parcelle de terrain ou autre appartenant à Alida par succession et contribuant à verser à cette dernière des sommes d’argent en liquide.

 

En 1968, Jacques, responsable de la division pâtisserie, a l’idée d’expérimenter un comptoir de  « Pâtisserie française ».  Installé à l’ouverture de la grande porte de garage durant tout le jour, celui-ci offre des produits nouveaux, comme en voit à Québec ou à Montréal, mais adaptés à la capacité de production de la boulangerie: des éclairs au chocolats avec crème pâtissière, des carrés à la vanille recouverts d’une glace fondante colorée en vert ou en rose et décorés de petites motifs floraux, des « Paris-Brest », des mille-feuilles etc. Stella  se transforme pour l’occasion en serveuse.

Comptoir de pâtisseries françaises 1968

(source: archives familiales)

Au début, le comptoir connaît un certain succès, mais l’expérience n’est pas concluante. Les prix sont trop élevés pour la petite ville sans doute. « Trop avant-gardiste » dira Jacques, pour justifier son échec. 

 

Enfin, les profits nets de l’entreprise ont fluctué entre 1960 et 1969, de 8,408,39$ à 10, 336$, après avoir atteint un sommet de 22,001,39$ en 1965.

Jacques le patissier

(source: archives familiales)

6. Les années 70: fin d’une belle histoire.

 

Au cours de ces années, l'écho de la Révolution tranquille se fait encore sentir. Pour toute une génération, celle des Baby Boomers, c’est l’explosion. Pendant que Mai 68 battait son plein à Paris, plusieurs événements inspirés par ce mouvement de révolte estudiantine avaient eu lieu dans différentes villes du Québec, dont Jonquière. Les jeunes ont le vent dans les voiles. On  balance au fossé tout un catalogue de traditions, de dogmes et de valeurs, comme appartenant à un passé que l’on juge révolu…C’est « le début d’un temps nouveau » et tous les espoirs paraissent permis. Le changement s’accélère et rien n’est épargné.

 

C’est dans ce contexte qu’on assistera au déclin et à la mort de notre boulangerie familiale. Il ne s’agit pas ici d’y voir un lien de cause à effet. Toutes les entreprises ne sont pas emportées par cette mouvance.  Mais il faut bien admettre qu’il devient parfois difficile de surfer sur les crêtes de certaines vagues.

 

Petit à petit, les grandes multinationales font leur entrée dans le paysage économique du Québec. Les fusions se font plus nombreuses, la compétition est forte, les moyens de transport et de communication ainsi que des méthodes de production de plus en plus modernes, permettent de nouvelles formes d’alliances.  Pour une petite entreprise locale qui s’est développée et maintenue en misant sur ses produits distinctifs et une certaine clientèle captive, les défis sont de taille.

annee 70

Publicité dans le journal Le Réveil

La boulangerie circa 1970

(source: archives familiales)

Au début des années 70, Marcel et Jacques sont deux hommes dans leur pleine maturité. La quarantaine avancée, une situation financière enviable dans la petite société de Jonquière, une belle maison, un chalet, deux autos, une famille accomplie, des activités para-professionnelles gratifiantes et un grand cercle d’amis.  Mais ils ont toujours aussi peu de choses en commun et ne se fréquentent pas en dehors de la boulangerie ou du « grand chalet », domaine familial légué par Francis à sa femme et fréquenté tous les étés par les filles et l’unique frère n’ayant pas hérité de parts dans l’entreprise. 

L’un possède une Cadillac et une Ford Mustang, l’autre roule en Mercedes.  L’un se spécialise petit à petit dans les placements, les course et les jeux.  L’autre achète une quincaillerie et devient président de la Commission scolaire.  Leur avenir respectif semble de moins en moins tourner autour du projet commun que serait sensé représenter la boulangerie familiale.  Marcel est un homme extraverti, qui aime rire et impressionner les autres.  Il aime les affaires et c’est un « buveur social ».  (À compléter et raffiner un peu).  Jacques est plutôt un sentimental, parfois trop sensible aux choses et aux êtres pour bien assumer les décisions qui s’imposent dans le monde des affaires qui est, comme chacun sait, une jungle.  Les batailles à mener et les conflits à régler le minent.  C’est un artiste qui s’ignore, un anxieux pour qui l’alcool est un refuge, un problème.

En 1970, Francis Bouchard Limitée et la Boulangerie Fortin de Kénogami (appartenant à la Laiterie Lamontagne) fusionnent pour créer une nouvelle compagnie appelée Boulangerie Rayon Soleil.  Francis Bouchard possède 75% des actions de cette nouvelle compagnie.

Les deux frères ont des perspectives différentes sur la gestion de cette dernière.  Leurs visions deviennent incompatibles.  Les différends s’accumulent au quotidien jusqu’à devenir un frein à une saine administration conjointe.  Ils le réalisent.  En 1971, ils se font mutuellement des propositions de rachat.

Selon qu’on est fils de Marcel ou de Jacques, l’histoire se raconte de façon un peu différente. Le tronc commun est qu’une entente a été signée entre eux pour racheter les parts de l’autre en en fixant par avance le prix. Qui le premier a offert à l’autre de l’acheter? Du côté de Marcel, on dit qu’il a voulu acheter à Jacques ses parts parce qu’il disposait d’une offre d’achat en bonne et due forme de Jean-Paul Tremblay, propriétaire de La Huche sans Pareille, boulangerie de Chicoutimi.  On dit que Jacques a refusé et a fait par la suite un « shot gun », c’est-à-dire une offre par laquelle on fixe un prix auquel les parts seront payées lorsque l’un des deux achètera l’autre, Jacques forçant la main par la suite à son aîné pour l’acheter. Du côté de Jacques, on dit que Marcel a refusé de vendre à La Huche sans Pareille lorsque celle-ci a fait une offre et que c’est pour cette raison que Jacques a accéléré les choses pour devenir l’unique propriétaire, consacrant ainsi la rupture entre les deux frères et mettant fin à une cohabitation forcée qui était devenue malsaine.

Quoiqu’il en soit, le 19 janvier 1972, une entente est signée entre les trois frères, Marcel, Jacques et Claude, selon laquelle un échange de parts entre eux visant les deux compagnies, soit Francis Bouchard Limitée et Rayon Soleil Limitée, permet à Jacques de devenir l’unique propriétaire de la Boulangerie Rayon Soleil.  Pour ce faire, l’entente prévoit également une promesse de paiement ultérieur de la part de ce dernier à ses deux frères.  La compagnie Francis Bouchard Ltée appartiendra désormais à Marcel, qui l’utilisera pour poursuivre des affaires dans les domaines qui lui sont propres.

Jacques, devenu PDG de Rayon soleil limitée, poursuit les affaires jusqu’en 1976. Pendant ce temps, les autres boulangeries de la région fusionnent et Multi-Marques est créée. En 1976, Jacques vend la boulangerie à la Laiterie Lamontagne, qui la vendra par la suite à Multi-Marques.  Pendant longtemps, jusque dans les années 90, la marque Rayon Soleil subsistera, appliquée à la fabrication et à la vente, partout au Québec, du fameux pain de sole tranché.

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